Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le système monétaire international repose sur un pilier central : le dollar américain. D’abord adossé à l’or, puis flottant depuis 1971, le billet vert est devenu à la fois unité de compte, moyen de paiement international et réserve de valeur. Cette hégémonie a conféré aux États-Unis un privilège exorbitant : financer leurs déficits en émettant la monnaie du monde. Or, depuis quelques années, un phénomène discret mais structurant est à l’œuvre : les pays des BRICS construisent patiemment les briques d’un système monétaire alternatif.
Contrairement à une idée répandue, il ne s’agit pas d’un projet brutal de remplacement du dollar par une “nouvelle monnaie miracle”. La stratégie est plus pragmatique, plus technique — et donc potentiellement plus efficace. Elle repose sur trois piliers : des infrastructures de paiement indépendantes, des règlements en monnaies nationales, et l’émergence d’une unité de compte commune.
BRICS Pay : sortir du réseau occidental
Le projet BRICS Pay vise à créer une infrastructure de paiement transfrontalière reliant les systèmes nationaux existants (CIPS chinois, SPFS russe, UPI indien, etc.). L’objectif est clair : réduire la dépendance à SWIFT, réseau occidental devenu un instrument géopolitique à part entière depuis les sanctions massives imposées à la Russie.
Ce point est fondamental. La guerre financière a révélé une réalité simple : toute transaction passant par le dollar ou SWIFT peut être bloquée. Pour les pays émergents, cela a agi comme un électrochoc. La souveraineté monétaire ne se limite plus à battre monnaie ; elle implique la maîtrise des tuyaux.
mBridge : la technologie comme levier
Le projet mBridge, piloté avec la Banque des règlements internationaux, va encore plus loin. Il s’agit d’une plateforme de règlements interbancaires utilisant des monnaies numériques de banques centrales (CBDC). Concrètement, elle permettrait à des banques centrales de régler des transactions internationales en temps réel, sans passer par le dollar ni par les chambres de compensation occidentales.
Ce n’est pas un gadget technologique. C’est une remise en cause directe de l’architecture monétaire héritée du XXᵉ siècle. Là où le dollar impose des délais, des coûts et des intermédiaires, mBridge promet rapidité, traçabilité et neutralité géopolitique — du point de vue des BRICS.
Une unité de compte, pas une monnaie
Contrairement aux fantasmes médiatiques, la future “monnaie des BRICS” ne serait pas une monnaie au sens classique. Les analyses les plus sérieuses évoquent plutôt une unité de compte utilisée pour les échanges commerciaux et énergétiques, éventuellement indexée sur un panier de monnaies ou de matières premières. Cette « Unit » sera composée à 40 % d’or et à 60% de monnaies des BRICS.
C’est une approche prudente, inspirée du DTS du FMI, mais hors du contrôle occidental. Elle permettrait de facturer le commerce international sans passer par le dollar, sans exiger une intégration monétaire irréaliste entre des économies très différentes.
Le dollar menacé ? Pas encore… mais moins incontournable
Il serait excessif d’annoncer la fin imminente du dollar. Les marchés financiers américains restent profonds, liquides et attractifs. Mais l’essentiel est ailleurs : le dollar cesse progressivement d’être incontournable.
Chaque transaction réglée en yuan, en rouble ou via une plateforme alternative est une brique retirée à l’édifice dollar-centré. Ce processus est lent, fragmenté, mais cumulatif. L’histoire monétaire montre que les systèmes hégémoniques ne s’effondrent pas : ils s’érodent.
Conclusion
Le projet monétaire des BRICS n’est ni une révolution spectaculaire ni un simple symbole politique. C’est une construction patiente, technique, presque ennuyeuse — donc redoutablement sérieuse. Il ne s’agit pas de remplacer le dollar, mais de le contourner. Et dans le monde de la finance internationale, contourner vaut souvent mieux que confronter.
